Le Stagiaire

S'il y avait bien une chose que je ne supportais pas dans mon travail, c'était l'impression de ne pas être à ma place. Outre le fait que la vie serait plus belle si l'on n'avait pas à travailler, elle aurait été au moins plus facile si mon bureau n'était pas en perpétuel dérangement.
Je m'explique : travaillant au ministère depuis des éons, j'aurais été en droit de m'attendre à ce que ma place suscite des honneurs ou pour le moins du respect. Que nenni dirait l'âne ! Je ne cessais d'être déplacé d'un bureau à l'autre.
En soixante ans de bons et loyaux services, l'administration ne s'était jamais améliorée... Moi qui travaille au contrôle des créations magiques, je n'arrêtais pas d'être confondu avec le département des créatures magiques. Voilà la raison pour laquelle j’aménageais une fois encore (la quarante-sixième si mon compte était bon) au niveau quatre.

Voyager et voir du pays ne m'avais jamais gêné, surtout que mon travail requiert des déplacements réguliers. Toutefois, avouez qu'il y a quand même de quoi se lasser.

Je suppose que ce nouvel aménagement - dans un petit bureau sordide, tout au fond d'un couloir - allait rimer avec son lot de contrainte. Changer de bureau revenait souvent à changer de poste (ce qui ne m'était jamais arrivé pourtant) et occasionnait souvent de nouvelles contraintes ainsi qu'une paperasse incessante à remplir.

Peut-être était-ce là la raison de ces éternelles "erreurs administratives" : rajouter du travail à des vieux loups de terre sans leur donner la possibilité de protester - enfin si : moyennement un nouveau monticule de papiers à remplir, monticule qui aurait décourager plus d'un alpiniste...

Après avoir acheminé magiquement mes ultimes cartons contenant mes affaires, j'ouvris enfin l'enveloppe qui avait été posé sur mon bureau. De quelle corvée allais-je donc écoper ?

Il s'agissait cette fois d'accueillir une stagiaire.
S'il il y avait bien quelque chose qui m'énervait, c'était précisément ce genre de mauvaise surprise. Une imbécile heureuse qui ne savait rien à la vie et venait claironner ses théories toutes faites que Poudlard lui avait fait gobé...

Quoi que... Une stagiaire ? Ah.. la fraîcheur de la jeunesse... Tandis que j'imaginais Une jeune beauté, telle une fleur épanouie, venant franchir le seuil de mon bureau et répondant à mes moindres sollicitations, je me pris à penser qu'une fois n'était pas coutume cette corvée s'annonçait sous de radieux auspices.

Jetant un nouveau regard au papier, je découvrais que cette recrue devait passer dans la matinée.
... aurait du passer dans la matinée. La voilà qui avait un bon quart d'heure de retard.

S'il y a bien quelque chose que je n'aime pas, ce sont les gens qui se permettent d'arriver en retard...

Depuis qu'il était en Écosse, Kyle avait butiner d'emploi temporaire à emploi précaire, trouvant des boulots là où on voulait bien lui en donner, son accent n'aidant pas toujours sa cause. Puis, il avait décidé que c'en était assez et il s'était mis à chercher plus sérieusement. Jusqu'à ce qu'une offre du ministère lui tombe sous le nez. Comme le hasard (ou quelques aides magiques, peu importe... on n'est pas à ça près!) fait bien les choses... Kyle s'était empressé de postuler et de passer le permis de transplanage Britannique -sous une fausse identité-. Quelques semaines -en fait, à ce moment il comptait en jobines... donc 3 boulots- plus tard, on l'avait recontacter pour une entrevue.

Il s'était acheté une robe neuve pour laisser bonne impression, était passé chez le coiffeur et avait même trouvé un ridicule chapeau parce qu'apparemment, la dame qui lui ferait passer l'entretien avait un faible pour les couvre-chefs. Au temps pour lui. Il était sorti du bureau de la sorcière sans avoir la moindre idée à savoir si la rencontre s'était bien déroulée ou non. Deux autres emplois plus tard, nouvelle missive. Il commençait le lundi suivant. C'était le lendemain. Il travaillerait au département des costumes magiques avec Zéroasme. Non... Des créations magiques avec Zoroastre... Quelle sorte de nom était-ce? McEwan. Déjà, ça semblait moins débile.

Pour son premier jour de travail, Kyle avait fait bien attention de défriper sa robe et s'était présenté au ministère un bon quart d'heure en avance. Il se dirigea vers la sorcière d'accueil, qui le redirigea -après avoir noté les spécificités de la baguette de Kyle- à travers les étages vers une demi-douzaine d'autres sorcières et un sorcier qui avaient chacun soit des documents en triplicata à lui faire remplir, ou un badge à lui donner ou encore quoi que ce soit.

C'est donc derrière une pile de parchemin qu'il pénétra dans le bureau qu'un sorcier dans la cinquantaine lui avait indiqué. Les sorciers dans le bureau lui indiquèrent alors qu'il s'agissait ici du département des créatures magiques, et non pas des créations, que l'erreur était fréquente et que le bureau qu'il cherchait était tout au bout, puis à gauche, puis...

Une fois sorti des dédales du gouvernement, le sorcier Amérindien parvint dans le bureau qui semblait avoir été aménagé à même le plus petit placard à balai de tout l'édifice. La vue à demi cachée par ses parchemins, il ne parvint qu'à distinguer une masse de cheveux blancs avant de s'excuser de son mieux.

-Pardonnez-moi du retard, m... C'était monsieur ou madame? Docteur McEwan. Je ne pensais pas que la paperasse administrative prendrait aussi longtemps à récupérer.

-Et je ne sais pas si j'aurai le temps de compléter tous les formulaires avant la fin du stage, hé! tenta-t-il sur une note d'humour maladroite. Et le pire, c'est qu'il n'avait même pas idée de l'heure qu'il était et donc du retard qu'il avait déjà accumulé. Avant même d'avoir débuté son stage.

Rhaaaa ! Le sale gosse !
Déjà, au ton doucereux qu'il employa je sus qu'une dure journée m'attendait. D'autant plus dure que la demoiselle avait une voix trop grave et des bras trop musclés pour m'être agréable. Son visage devait être d'ailleurs bien ingrat pour que ce stagiaire tente de le cacher derrière une pile de parchemins.
... A moins que l'idée de me rencontrer ne le terrifie... idée assez séduisante s'il en était, en dépit d'une voix et de bras gracieusement féminins.

-Pardonnez-moi du retard, m... Docteur McEwan. Je ne pensais pas que la paperasse administrative prendrait aussi longtemps à récupérer.

Docteur ? Bah, ce petit gars ne devait pas être si mauvais que cela, tout compte fait. Humpf

Je m'apprêtais à lui rétorquer que son retard serait potentiellement excusé lorsque ce jeune avorton - vu qu'il s'agissait bien d'un garçon, non ? Le doute devenait de plus en plus possible de nos jours avec les femmes qui se mettaient elles aussi aux stupides coupes militaires - eut l'impertinence de me doubler :

-Et je ne sais pas si j'aurai le temps de compléter tous les formulaires avant la fin du stage, hé!

De l'humour ? Avant même d'être rentré dans mes bonnes grâces ? En voilà un qui ne craignait pas pour son matricule ! Je répliquai aussitôt :

- M'est avis que les formulaires seront le cadet de tes soucis mon gars !

Oui, le tutoiement n'est pas professionnel. Mais à quoi cela pouvait bien me servir d'avoir 99 balais si je ne pouvais pas prendre les autres de haut ?

- Alors mon jeune inconnu, si nous devons travailler ensemble, autant fixer tout de suite les règles :
"Primo, arrivée à l'heure, à l'ouverture des bureaux !
"Deuzio, rire à mes blagues et éviter de faire de l'humour en ma présence.
" Tertio, ne jamais me contredire.
"Quatro, faire au moins semblant de m'écouter quand je te parle...

Quinto ? Cinqo ? Pento ? Par les cornes du barbiouzal ! Comment se disait cinq en dénomination déjà ?
Shinto ? Synchro ? Sowilo ? Non, non et non ! Tant pis, ce jeune vaurien avait de la chance ! Mais il ne perdait rien pour attendre...

- Bon, avant de partir dans la nature vers notre première mission commune, il me faut connaître impérativement une chose.
"Laquelle, à ton avis ?