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C'est une de ces maisons de film d'horreur. Des craquements, des murs écorchés par l'érosion du temps, des toiles d'araignées, de minuscules habitants diurnes qu'on ne voit pourtant pas mais qui grouillent dans tous les coins. Ca sent l'humidité, la mousse, le bois rance et le moisi. A chaque pas, une brume de poussière s'élève. On pourrait croire qu'on marche sur des nuages quand un fin rai de lumière perce l'épaisse obscurité pour venir frapper le sol.

 

Nous ouvrons toutes les fenêtres sauf celles qui donnent sur la route. Nous explorons en silence mais n'allons pas bien loin. Nous n'allons pas bien vite non plus. Pas la force. Sans en avoir parlé au préalable, nous connaissons tous les deux l'objet de notre quête. Deux mots: eau et lit.

Dix heures à tuer. Dix heures pour récupérer et la force de rien.

 

Elle cherche l'interrupteur mais finit par se rabattre sur sa baguette. Le faisceau est faible. Nous nous soutenons l'un l'autre et choisissons d'un commun accord silencieux les chemins à arpenter. S'appuyant contre les murs à celui qui a la seule main libre. Trainant une patte à celle qui n'en avait plus qu'une. Soufflant comme des bêtes. N'ayant pas de vigueur pour se plaindre. Ne pensant plus.

 

Une vieille salle de bain au fond du couloir nous accueille. Plus charmante que le reste de la maisonnette. Sa baignoire d'émail et ses carreaux vert pale fissurés nous donnent un peu d'espoir. Des lierres ont commencé à grimper le long de la fenêtre et ils se jettent comme une cascade par la fenêtre aux carreaux brisés. Nos yeux se vissent aux deux robinets. Celui du lavabo, après un temps trop long où il nous faut tenir debout, finit par cracher une larmichette d'eau. J'actionne tout ce qui me reste de motivation pour aller au robinet. J'ouvre l'eau. Elle coule. Marron au début. Fraiche et claire pour finir.

Hors d'état. Incapables d'utiliser un sortilège de plus, cette eau est providentielle. De son côté Mélusine s'est hissée jusqu'à la baignoire. Il n'y a pas de pression dans le tuyau mais de l'eau coule. Froide.

Je plonge mes mains dans la cuvette du lavabo qui se remplie. Tuyaux bouchés. Même lorsque ça déborde, je laisse ouvert. M'asperge le visage, les cheveux. L'eau retrouve une couleur marron. Rougeâtre. Je bois l'eau claire comme une liqueur bon marché à siffler avant d'en comprendre le goût. Comme si j'avais oublié le goût de tout. Comme si je n'avais jamais bu. Je retire ma chemise sale, la laisse tomber dans le lavabo et frotte. Pour quoi? Pour rien. Je ne sais pas. Pour me défouler. Pour faire quelque chose.

La balle se rappelle à moi quand je me redresse. Un miroir presque aussi mal en point que nous me renvoie un reflet éclaté. Il y a six nombrils, six trous sanglants, six grains de beauté sur la hanche, trois visages déformés de fatigue, des bouts d'épaules que je ne peux compter, une petite rouquine dans le fond de la salle de bain que la perspective me fait imaginer assise sur mon épaule.

Pendant un moment je l'avais oublié.

Elle trempe ses pieds dans l'eau qui s'écoule par le siphon. Des rainures rouges et roses s'enroulent les uns aux autres et se noient dans la colère du siphon qui aspire bruyamment.

Lu..McEwan, ça va aller?

Pas de réponse. Son regard est vide. Planté dans le siphon.

J'ai tué quelqu'un… deux fois.

Elle parle par bribe. Me raconte ce qui la tracasse. J'ai du mal à la comprendre mais je finis par saisir. M'approche doucement. Elle parle pour elle. Comme pour exorciser la douleur.

Je resitue le chapitre où je l'avais quitté pour accompagner Amba en lieu sûr. Je ne sais pas quoi lui répondre. Je ne me souviens plus du nombre de personnes que j'ai tué depuis quelques années. Il fut une époque, on me jugea et on m'envoya à Azkaban pour cela. Aujourd'hui l'on me décore. Le monde sifflote des cantiques cyniques quand il s'agit de différencier ce qui est bien de ce qui est mal.

 

Elle dévie. Perd la tête devant mes yeux.

Je me sens charitable. Et puis je la comprends. Et puis je la félicite. Parce qu'elle est encore là. Parce qu'elle est vivante. Parce qu'elle ne s'est jamais plainte.

Je ne trouve toutefois rien à lui dire de très brillant. Je m'assois à côté d'elle sur le rebord de la baignoire qui crie.

 

J'ai un bras qui ne souffre de rien alors je le lui offre pour appuyer une tête, un visage, qui ne tarde pas à y échoir pour camoufler ce qui était en train de monter.

Malheureusement, ça passe, lui dis-je.

Elle est dans un état second. Elle plane au-dessus de son corps.

Je la dévêts à moitié sans brusquerie, la laisse se glisser dans la baignoire et entre avec elle en la maintenant. Avec le vêtement retiré, je frotte les blessures. N'appuie pas. Ne pense plus. L'eau est rouge. Rouge horreur. Rouge poison. Rouge solitude. Rouge passionnant.

McEwan, parle, lui ai-je ordonné en essayant de lui tenir la tête debout. Elle ne voulait rien savoir. Délirait encore. J'ai eu le droit à un jet d'insultes que je pris comme elles étaient. Tant qu'elle parlait, c'était qu'elle était éveillée.

J'ai besoin que tu te concentres lui, dis-je quand j'eus terminé de l'éponger. Je lui tends sa baguette… elle tarde à la prendre. Je lui fiche dans la main et serre la mienne autour pour qu'elle ne la lâche pas. Approche la pointe de ma blessure. De l'autre main, je saisis la seconde pour la flanquer contre mon flanc indemne:

Approche.

Elle s'approche. Comme ivre. Mais se concentre.

Enlève la balle, s'il te plaît.

Il me faut dix minutes pour la convaincre, et cinq longues et intenables minutes de souffrance pour qu'elle parvienne à retirer la balle de la pointe de sa baguette. Ingénieusement – ou seulement pour me faire mal encore un peu – elle cautérise avec un sortilège cuisant.

Pendant l'opération, elle a pu se ressaisir. Réalise doucement qu'elle est dans une baignoire avec moi. Je lui balance une réplique salée. Qu'elle aille se faire voir.

 

Je sors de la baignoire. Me retourne pour observer la chose trempée qui s'écoule dans la baignoire râpée.

Allez, sors de là. Je vais m'occuper de ton dos. Je ne suis pas sûr d'avoir réuni assez de force pour réaliser cela mais je peux essayer.

Nous remontons, trempés, le couloir menant à la salle de bain.

 ***

Sur le lit crasseux, elle essaye un sortilège dont je ne connaîtrai jamais l'effet. Je prends sa baguette et imagine assez facilement à quoi menait sa tentative.

Lit fait.

Lit souriant qui donne envie.

Pas envie de 'ça'.

Envie de dormir.

Je la fais allonger sur le ventre. Retire les derniers lambeaux de vêtements. Elle fait tout ce qu'elle peut pour que je ne vois pas sa poitrine. Ca faisait longtemps, mais elle me fait sourire. Je place mes mains au-dessus de la blessure et rassemble l'énergie qui me servit un jour à guérir Mimoune… et d'autres fois, à guérir d'autres personnes dont j'ai parfaitement oublié le nom.

 

C'est long. Plus long que d'habitude. La plaie est profonde et béante et mes forces sont trop amoindries. Après presque vingt minutes, je suis en sueur, je ne peux plus rien donner. Je m'étends à côté et je m'excuse. Il lui restera une cicatrice. Je ferme les yeux… pas besoin de plus de temps pour m'endormir.

 

A mon réveil, McEwan est toujours torse nu mais cette fois, si je ne peux pas voir sa poitrine, c'est que celle-ci est logée contre moi. Contre le côté de mon torse. A défaut d'un oreiller, mon épaule semble avoir fait l'affaire. Elle s'est endormie. Tant pis, je saurai jamais si McEwan a des nichons.

 

Je reste à contempler le plafond en attendant qu'elle se réveille.

Elle ne se réveille pas.

J'aimerais bien qu'elle le fasse.

Pas qu'il est l'heure mais je reste moi. Sacha.

Sacha qui peine à ne pas avoir les idées polluées par le stupre dès qu'une occasion se présente.

 

Ca n'a jamais été la connerie qui m'étouffait, néanmoins, quoi qu'en ai jamais dit les journaux, je suis toujours resté d'une fidélité (presque) exemplaire depuis que je suis marié. Ce n'est pas une Etc-McEwan qui va rompre cela. Pourtant, elle me perturbe.

'Réveille-toi…'

Je me récite la prophétie du Centaure en latin pour oublier. Mon corps parle autrement. Et c'est certain, ce n'est pas le Centaure qui me fait bander.

'Putain… réveille-toi…'

Immobile sous son corps qui se réchauffe et me réchauffe, j'ai les pensées emprisonnées dans de vagues fantasmes que j'essaye les uns après les autres de tuer dans l'œuf. Additionné à la fatigue, et mes défense sont plus faibles, la chevelure de feu me consume. Quand même… tenir face à un révolver, un vampire et une armée d'Opposants, pour échouer lamentablement devant les seins de Lucy! Non, de McEwan. Merlin est injuste. Mais nous le savions déjà.

 

Ce à quoi je ne m'attendais pas fut qu'elle se réveillât et sourît.

Je m'attendais plutôt à une bonne baffe bien que je ne me sentais pas en faute.

 

Elle protège sa poitrine de ses mains et me dit:

T'as des fuites spirituelles de Lansley…

'Hun?'

J'entends tous ce que tu penses.

Merde.

Tu peux le dire. Et tu verras pas mes seins.

Dommage.

Tu parles. Je te fais peur alors?

Non.

On dirait pas. Je retire mes mains, joue-t-elle quand je sais qu'elle ne le fera jamais.

Non… fais pas ça.

Elle s'écarte et me délivre. Je me relève d'un bond, geins à cause de mes blessures et vais à mon t-shirt. Encore humide mais enfilable.

Rhabille-toi, on y va.

On se promet de ne jamais parler de ces dix heures.

Je n'ai jamais vu les seins de McEwan – Ce qui est vrai par ailleurs – et je ne l'ai jamais vu délirante en train de perdre la tête dans la baignoire.

Elle, elle ne s'est jamais endormie à moitié nue contre moi et elle ne m'a jamais vu me torturer pour résister à Mélusine MMMMMMMMMMMMMMMMcEwan.